Page écrite par : -Serum (Dante_Sparda_62)
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Sommaire : - Introduction |
Hidéo nous transmet ses idéaux. C'est "un humaniste convaincu" comme l'explique ultimatesnake dans son excellent dossier d'analyse de la saga : Sun from the sin. Ainsi, tout au long d'Mgs2, le personnage ainsi que le joueur sont amenés à lutter pour une certaine liberté, du moins pour ce qu'ils croient être la liberté. Les patriots et leurs agissements brident cela (A). Les actes des patriots mènent à de nombreuses questions philosophiques, notamment en ce qui concerne le langage, la vérité, la perception, la politique, etc. (B).
A) Les faits : un monde où tout est sous contrôle
Metal Gear Solid 2 en a perdu plus d'un en cours de route tant son scénario est dense et complexe. Généralement, c'est le coup des "Patriots" qui passe mal. Un groupe agissant dans l'ombre et contrôlant le monde entier : économie, finance, militaire, politique... Les Patriots ont la main mise sur tout. D'ailleurs, le joueur ne manque pas de le remarquer parce qu'au final, en plus d'avoir un parfait contrôle sur la situation dans laquelle le jeu évolue, sur quasiment tous les protagonistes, ainsi que sur Raiden (le personnage jouable), les Patriots exercent aussi une forme de contrôle sur le joueur lui-même. Je ne développerai pas sur ce point, Sun from the sin le fait déjà à la perfection.
Penchons-nous à présent sur certains points bien précis du contrôle exercé par les Patriots afin de les analyser ensuite. La seconde fois que le joueur entend parler des Patriots, c'est sous l'appellation "la-li-lu-le-lo". Les personnages dans Mgs portent des nanomachines, qui leurs sont très utiles (soin automatique, réduction des saignements, envoi ou inhibition de certaines substances du corps (adrénaline, etc.)). Toutefois, les Patriots, dans leur volonté de tout contrôler, se servent de ces machines afin de satisfaire leur intérêt propre. Ainsi, pour rester dans l'ombre, ils n'hésitent pas à mettre en place un système de censure du langage. Toute personne non-autorisée voulant parler des "Patriots" dira à la place "La-li-lu-le-lo" (ce qui correspond à un pan de l'alphabet japonais). De plus, Emma Emmerich raconte quelque chose de troublant à Raiden :
| "En supprimant ce genre d’informations, les Patriots sont en mesure de modeler l’Histoire à leur guise. [...] Personne ne peut s'en apercevoir : la mémoire et la durée de vie des gens sont extrêmement limitées. A l’inverse, les informations numériques sont presque éternelles, et de surcroît ne se détériorent pas. Par exemple, l’alphabet comporte vingt six lettres. Il aurait pu en comporter trente. Et si un programme contrôlait les quatre lettes effacées ? [...] D’ailleurs, un processus similaire est déjà en place." |
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Ensuite, les Patriots expliquent via l'IA du Colonel Campbell et de Rose que cette volonté de tout contrôler est avant tout présente pour préserver une vérité : l'ère du numérique fait émerger chaque jour de nouvelles vértiés contradictoires, qui vivent et survivent et se répandent dans des cercles fermés. Où trouver la vérité dans un tel fouillis ? Les Patriots comptent bien choisir LA vérité en censurant toutes celles qui ne leur plaisent pas. Mais à quel prix, et surtout, sur quel fondement ? La vérité ne se doit-elle pas d'être objective et non subjective, par définition ?
On peut aussi citer en passant la volonté des Patriots d'écrire et de réécrire l'Histoire, encore un thème qu'il serait intéressant d'étudier.
Enfin, d'un point de vue politique, comment envisager cette volonté, cette nécessité de contrôler tout ce qui bouge ?
B) Le "machiavélisme" des Patriots, source de destruction de la nature humaine
Repensez à cette sensation étrange ressentie lorsque vous avez pour la première fois terminé Mgs2. La sensation d'être perdu, d'être tombé dans un trou d'une profondeur que vous aviez clairement sous-estimée. Il semble évident que Raiden est tout aussi perdu. Lui non plus n'a pas encore bien réalisé ce qui est arrivé. Il en vient à se demander si sa vie est réelle, si sa petite amie existe, si ce qu'il vient de traverser n'était pas qu'une simulation virtuelle. Lorsqu'il en vient à se poser de telles questions, sa nature en tant qu'être humain semble menacée. D'ailleurs, Mgs4 montre les séquelles d'un tel traumatisme : Raiden a tout abandonné pour devenir une sorte de guerrier-ninja à moitié cybernétique, n'ayant même plus conscience de l'importance de sa vie, ayant à peine conscience de la gravité de la mort. S3 : Simulation pour la Santé de la Société. Six ans après la mise en place du plan S3, le monde est au bord de la destruction, et la guerre est devenue purement économique. Les hommes sont des armes, ni plus ni moins. Qu'est-ce qui motive les Patriots ?
Les théories de gouvernement en philosophie sont diverses. Aristote souligne que l'homme est un "animal politique", qui cherche à vivre en société pour atteindre la plénitude, pour développer toutes ses facultés. La mise en place d'un Etat est nécessaire afin d'assurer cette vie en communauté : on crée des lois, on les fait respecter, et on réprime les contrevenants. Dès lors, quelle forme doit adopter cet Etat, ou ce gouvernement ? Tandis que Locke prônait le libéralisme, d'autres prônaient l'absolutisme, etc. Dans tous les cas, la légitimité de ce gouvernement doit être assurée. Pour cela, actuellement, il y a principalement deux conditions : il doit oeuvrer dans l'intérêt général, et respecter les droits naturels (droits de l'homme...). Les Patriots clament haut et fort qu'ils oeuvrent pour le bien des humains, qui sont trop faibles, trop immatures pour se diriger eux-mêmes dans la bonne direction. Quant au respect des droits naturels, là, il semble plus difficile de concevoir que les Patriots soient légitimes de ce côté. Mais qu'importe ? Les Patriots agissent dans l'ombre : personne ne sait qu'ils existent, et donc le peuple ne risque pas de se retourner contre eux en raison de leur illégitimité.
Il semblerait en réalité que la conception des Patriots soit une cousine éloignée de celle de Machiavel, mais de manière tout à fait déformée. En effet, dans Le Prince, Machiavel conseille les Médicis, disant en gros, que la fin justifie les moyens. Pour gouverner, il ne faut reculer devant aucun moyen, même immoral si nécessaire. Ainsi, s'il le faut, l'assassinat, la trahison, la torture... doivent être mis en oeuvre afin de conserver le pouvoir, puisque c'est dans l'intérêt général. Un pouvoir stable est souvent synonyme de paix, et la paix justifie bien un ou deux actes immoraux. Il faut toutefois s'efforcer de sembler bon aux yeux du peuple. Sembler, mais pas forcément être. L'homme d'Etat doit "ne pas s'écarter du bien s'il le peut, mais entrer dans le mal s'il le faut". Donc, pour Machiavel, si la fin est bonne, les moyens sont bons... même s'ils sembleront immoraux aux yeux du commun des mortels. Alors que les Patriots semblent soutenir cette idée dans Mgs2 au vu de leur volonté de "guider" le peuple dans la bonne voie quels que soient les moyens, on s'aperçoit que cela dérive totalement avec Mgs4. Les moyens sont immoraux, et la fin l'est plus encore : contraindre et façonner l'homme à la guerre, afin d'alimenter une économie à base de tueries incessantes et sans but.
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Par ailleurs, puisque l'on parle de dénaturalisation de l'être humain, revenons-en à la problématique du langage. N'est-il pas vrai que le langage caractérise l'homme ? Que c'est l'une des principales choses qui le différencient de l'animal ? Et surtout, que le langage est le support de la pensée ? Bah, oui. Essayez de penser à quelque chose sans "entendre résonner" dans votre tête ce quelque chose sous forme de mots. La pensée pure n'existe tout bonnement pas. Lorsque vous pensez, vous vous parlez. D'où l'importance du langage. La censure du langage que semblent opérer les Patriots signifie par la même occasion une censure de la pensée. Orwell, dans 1984, imagine un monde totalement contrôlé, où l'on a supprimé du vocabulaire le mot "liberté". En supprimant ce mot, c'est toute la notion de liberté et ce qu'elle implique qui disparaît. Pour vous donner un autre exemple plus réel, il existe un peuple - je ne sais plus lequel - qui vit genre dans le grand nord, où la neige a donc une place importante. Pour vous et moi, la neige, c'est "blanc". Un mot. Point. Pour ce peuple, la couleur de la neige peut se décrire en plus d'une vingtaine, voire d'une trentaine de mots. Autant de notions qui pour nous autres n'existent tout simplement pas. Les Patriots visent donc juste en instaurant un système de contrôle du langage, car le langage est à la base de tout. |
Enfin, très rapidement, en ce qui concerne l'écriture et la réécriture de l'Histoire, elle implique là encore de nombreuses conséquences. De l'Histoire découle directement le présent. Le présent s'est construit via l'Histoire. Si l'on modifie le passé, fatalement, le présent s'en voit radicalement changé lui aussi. C'est sur le passé que l'on se base pour ne pas répéter les mêmes erreurs. A contrario, le fait de connaître les erreurs du passé peut inciter certains à les répéter. En bref, contrôler l'Histoire implique d'autres considérations philosophiques importantes sur lesquelles nous passerons outre pour cette fois.
"- Nous avons toujours laissé des traces de nos vies, reprit Rosemary. A travers mots, images, symboles… Des tablettes aux livres.
- Mais les nouvelles générations n’ont pas été mises au courant de toutes les informations. Un petit pourcentage dans le lot a été sélectionné et transmis. Processus très proche de celui des gènes, vraiment.
- C’est ainsi qu’est formée l’Histoire, Jack !"
J'aimerais conclure, rapidement, sur la thématique de la vérité qui me permettra d'enchaîner via une superbe transition avec le sujet suivant. La vérité est franchement difficile à cerner dans Mgs2. Comment distinguer le vrai du faux ? Comment distinguer les messages destinés à Raiden et ceux destinés au joueur ? Les Patriots parlent de leur effroi devant le nombre de "vérités" totalement contradictoires et aussi fausses qu'inutiles que les humains créent et entretiennent dans leur petit monde limité, dans leur petite bulle, dont les autres habitants partagent les mêmes convictions.
"Mais dans notre monde numérisé, les informations insignifiantes s’entassent, éternellement banales. Jamais périmées. Toujours accessibles. Des rumeurs sur des problèmes futiles, de mauvaises interprétations, des calomnies… Toutes ces données sans importance sont préservées sans aucun filtrage, s’accumulant à un rythme alarmant. Elles ne font que ralentir le progrès social, elles réduisent le taux d’évolution. Raiden, tu crois que notre objectif est d’instaurer la censure. [...] Tu te trompes ! Ce à quoi nous aspirons n’est pas le contrôle du contenu, mais la création d’un contexte. [...] La société numérique aggrave les tares humaines, et tend à favoriser le développement de semi-vérités. Regarde simplement les étranges paradoxes de la moralité autour de toi. Des millions sont dépensés pour des armes capables de tuer les êtres humains. Les droits des criminels sont plus respectés que l’intimité de leurs victimes. Alors que d’autres gens souffrent de la pauvreté, on donne pour la survie d’espèces en voie d’extinction. Dans chaque génération, on nous répète la même chose... "Soyez bons envers les autres gens… mais soyez toujours les premiers en tout" ; "Chaque être est spécial, unique, croyez en vous-même et vous réussirez... mais il est évident que seule l’élite peut réussir. Tu exerces ton droit à la « liberté », et en voici le résultat. Tout une rhétorique, pour éviter les conflits et les heurts. Toutes sortes de vérités arbitraires sont énoncées, selon l’intérêt de chacun, s’accumulant au nom du politiquement correct et des valeurs. Chacun se retranche derrière sa propre petite communauté close, effrayé à l’idée d’affronter un plus large auditoire. Ils restent dans leur petit monde, ajoutant leur propre morceau de « vérité » dans cette immonde société. Les vérités fondamentales ne s’affrontent ni ne s’allient. Personne n’est désavoué, mais personne n’a raison. Même la sélection naturelle ne peut entrer en jeu, ici. Le monde entier est en train de sombrer dans « la vérité ». C’est ainsi que le monde s'achèvera. Pas dans un « bang », mais dans un murmure."
